Le Roi Des Fourmis
Words: Philippe Jugé, Photographer: Martin Goodacre
Taken from Best Magazine, June 1994

Découvrir Pulp, c'est approcher un univers musical luxuriant où l'excentricité du style le dispute à l'évidence du propos. Écouter His 'n' Hers, ce quatrième album aussi attendu qu'essentiel, c'est accepter de se laisser surprendre. Rencontrer Jarvis Cocker, leader habité c'est comprendre que, de Sheffield au monde ébahi, la route a été longue mais que désormais elle est libre...

Jarvis Cocker: Nous n'avons trouvé meilleur titre que His 'n' Hers pour traduire cette "sensation" lorsqu'un homme et une femme tie forment plus qu'un lorsque deux personnes au sein du couple se fondent en titre seule entité. C'est une chose si belle... Un peu magique... Presque mystérieuse... Suffisamment inexplicable pour que l'on fasse très attention, lorsqu'on évoque cette communion, a ne pas en dénaturer le sens, rompre le charme. His 'n' Hers, au départ, est une chanson, parmi les autres, qui devait figurer sur ce nouvel album. Au dernier moment, nous l'avons supprimée pour n'en garder que le titre. Il correspond parfaitment, au niveau de l'émotion, des textes, à ce que nous avons recherché. Un seul morceau ne pouvait, à lui seul focaliser l'attention. Je sais qu'en français His 'n' Hers n'a pas d'équivalent mais tous les morceaux tendent à cerner ce mystère: les rapports humains.

Pourquoi le choix de Ed Buller à la production?

Nous avions déjà collaboré ensemble précédemment et il nous avait énormément facilité le travail, Malgré ses tarifs exorbitants depuis qu'il a produit l'album de Suede il était l'homme de la situation. (sourire)

Mais après dix ans d'existence n'êtes-vous pas intéressés pour vous produire seuls?

Non. L'apport d'un producteur est extrêmement enrichissant. Il me parait essentiel que quelqu'un avec un avis totalement étranger ait son mot à dire. Procéder ainsi débouche sur une plus grande créativité. De toutes façons, Pulp est composé de cinq personnalités et nous avons besoin d'une sixième personne pour prendre une décision finale... (sourire). Je n'ai jamais compris pourquoi des gens se faisaient construire un studio dans leur propre maison. C'est terrible! Ca ne peut forcément déboucher que sur de mauvais disques... Enregistrer dans ces conditions est une activité ordinaire, un peu comme faire la cuisine ou le ménage... Un enregistrement doit être un événement, pas une occupation de le vie de tous les jours.

Que vous a apporté votre signature sur Island?

Que des bon ties choses! Nous avons enfin du temps et de l'argent pour faire ce que nous voulons. Attention, je ne renie pas nos précédents disques, je veux juste dire que nous aurions pu mieux faire si les conditions avaient été meilleures C'est pour Freaks que j'éprouve le plus de regret. Nous l'avons enregistré en une semaine. C'est dommage car nous avons cruellement manqué de recul pour des chansons vraiment excellentes. Tu vois, nous ne sommes pas de ces groupes qui peuvent rester un an en studio mais il y a quand même une durée minimum si tu veux faire un travail correct, même si, la plupart du temps, nous arrivons en studio avec des versions presque abouties. L'idéal serait même de les avoir déjà jouées en concert avant de les enregistrer. Il n'y a pas de meilleur juge qu'un public. C'est le test le plus objectif qui soit. Le moteur de tout groupe devrait être la scène. Sa raison d'être. Tout le reste n'est que secondaire.

His 'n' Hers me semble vraiment très proche de Separations...

Non, je ne crois pas... II a beaucoup plus d'unité. Et puis, il est plus humain. J'ai toujours reproché à Separations un son trop clinique. Lors de son enregistrement, en 89, j'étais obnubilé par l'explosion house en Angleterre. Nous avons voulu utiliser la technologie dance et la mettre au service de chansons pop.

Comment expliques-tu qu'un morceau comme Joyriders sonne presque rock?

Oh, c'est très simple. Au tout début de l'aventure Pulp, je jouais beaucoup de guitare, en particulier sur scène. J'avais arrêté depuis quelques années pour me concentrer sur mon rôle de chanteur. Mais depuis quelques mois, j'en rejoue. Sur disque et en concert. Forcément, notre musique s'en ressent.

II y a désormais une grande différence entre vos disques et vos prestations scéniques. Vous cherchez à faire évoluer vos morceaux?

Non, je ne crois pas. Tu ne sais jamais comment ton groupe va sonner ou sonne pendant un concert. Cela dépend vraiment d'un nombre incroyable de choses: de ton état, de la salle ou du public. Ceci dit, nous aimons jouer plus ou moins en roue libre... Nous souhaitons que le hasard joue un rôle important. Le concert est et doit être un spectacle vivant.

C'est pour cela que tu t'extériorises beaucoup sur scène...

Oh, je ne fais rien d'extraordinaire... Sur scène, je suis moi-même. Mon jeu n'a rien à voir avec celui d'un quelconque personnage de théâtre. C'est juste une forme de communication. Toutes les chansons de Pulp ont un rapport direct ou indirect avec ma propre vie. On ne peut pas jouer avec ces choses...

Comment as-tu découvert Polnareff?

Par hasard et je ne connais que très peu son travail. Un ami, à Sheffield, possède un 45 tours avec cette chanson, Le Roi Des Fourmis. Malgré mon mauvais français, nous la jouons de temps en temps en concert. Nous l'avons même enregistrée, à l'initiative de Bertrand Burgalat (NDLR: producteur et arrangeur français), pour un album-hommage. Malgré les participations de Nick Cave, Saint Etienne ou des Residents, aucune date de sortie n'est prévue.

Comment expliques-tu. l'indifférence des années passées vis à vis de Pulp?

Je ne sais pas. Peut-être n'étions-nous pas au bon moment quand il le fallait. Contrairement à ce que l'on pense, ce n'est pas le public qui est venu à nous: nous nous sommes considérablement améliorés. C'est peut-être la seule véritable explication même si l'air du temps nous est, sans aucun doute, plus favorable. Une chose est sûre, pour la première fois, nous paraissons être en phase avec les journalistes et le public. Attention, je ne jette la pierre à personne pour les années de galère. Il serait idiot de se plaindre alors que, dix ans après, Pulp est toujours là. N'est-ce pas l'essentiel?

Parle nous du film que tu as tourné pour accompagner la sortie de Do You Remember The First Time...

Hum... Le cinéma est, avec la musique, mon centre d'intérêt principal. Je l'ai étudié à l'université. Depuis plusieurs mois, je m'y suis remis assidûment en réalisant des vidéos pour Tindersticks et Aphex Twin. Do You Remember The First Time est un film de 25 minutes sur la perte de la virginité. J'ai interrogé quatorze personnes, en me comptant, aussi diverses que Terry Hall, Alison Steadman, John Peel ou Justine d'Elastica. Je me suis intéressé aux détails de ce moment particulier: l'heure, l'endroit, l'âge, la façon d'être habillé, etc. Je voulais montrer, à la lumière de certains critères objectifs et sous couvert d'anecdotes, que la perte de sa virginite, est une expérience unique. J'ai également voulu désacraliser cet événement. On a trop tendance à l'idéaliser alors que la réalité est beaucoup moins romantique. L'arrière d'une voiture, une vague connaissance ou une ébriété avancée sont plus souvent le lot commun.

Que penses-tu de ce revival punk, que les média nomment The New Wave Of The New Wave?

C'est un phénomène de mode. Le mouvement punk, celui de la fin des années 70, a changé ma vie. La musique m'importait peu mais ce mode de vie, cette attitude m'ont transformé. Je ne pense pas qu'aujourd'hui, The New Wave Of The New Wave puisse produire un tel effet sur les gens. C'est trop superficiel. Mis à part, la musique et l'apparence, cette manière de s'habiller, il n'y a rien de radical. Le contexte social est vraiment différent. Le punk était avant tout un événement social. Si, de nos jours, chanter l'apologie de la drogue suffit à passer pour révolté, alors ça ne m'intéresse pas.

Press Menu   Home