On Ne Vit Que Deux Fois
Words: Christophe Bastera et Estelle Chardac, Photographer: Richard Dumas
Taken from Magic, November 2006

L'homme avait pourtant juré de prendre sa retraite. De se contenter d'offrir ses bons et loyaux services à des artistes en manque d'inspiration. On pensait d'ailleurs qu'il avait bel et bien joint l'acte à la parole, sa signature se retrouvant çà et là (Nancy Sinatra, The Lovers...), mais sa longiligne et légendaire carcasse demeurant invisible depuis quatre ans. Après Pulp, le groupe qui l'avait consacré en icône pop improbable au mitan des années 1990, et un bref projet récréatif - Relaxed Muscle -, Jarvis Cocker avait décidé de goûter aux plaisirs simples du mariage, de la paternité et de la vie parisienne. Mais chassez le natural, il revient au galop. Au moment où l'on s'y attendait le moins, le voilà donc de nouveau sur le devant de la scène, armé d'un premier album solo sobrement intitulé de son prénom. Un disque qui fait mesurer à quel point son absence a été préjudiciable. À la musique d'hier et d'aujourd'hui. Avec l'aide de quelques fidèles (Richard Hawley, Steve Mackey) et en quatorze chansons, il endosse à nouveau son costume de crooner de l'impossible, égrène les notes de piano, embrasse de nobles mélodies à faire pâlir ses pairs de jalousie. Le temps d'un alphabet marathon, ce quadragénaire fringant évoque les raisons qui l'ont fait sortir de la quarantaine qu'il s'était lui-même imposée. Et dévoile ses espoirs et ses craintes pour mieux décortiquer passé, present et futur.

Autobiographie

J'ai été approché par un éditeur anglais, mais je n'ai pas donné suite Ce genre de bouquins constitue le gros des ventes en Grande-Bretagne. Et j'ai l'impression que, désormais, le premier idiot venu peut raconter sa vie. Robbie Williams en a déjà publié deux, non ? (Sourire.) Lorsque tu écris des chansons, l'avantage est d'associer des anecdotes personnelles à des mensonges. Tu peux ainsi virer tous les trucs ennuyeux et donner une dimension nettement plus glamour ou dramatique à ta vie. (Sourire.) Parce que la plupart du temps, nos existences n'ont rien de noble, il faut bien l'admettre. C'est vrai, les paroles de Tonite sont en partie autobiographiques. (Sourire.) J'ai écrit ce morceau peu de temps après m'être installé à Paris. Il m'a été inspiré par le fait de me retrouver dans un grand appartement sans n'avoir rien à faire. Et ne faisant rien. Ce n'était pas évident pour moi, car lorsque j'avais quitté Sheffield pour Londres, ma vie sociale avait au contraire pris une autre dimension. Cette fois, ça n'a pas été le cas, d'autant que je suis devenu papa. J'ai passé beaucoup de temps assis chez moi. Dans ce cas, tu imagines parfois ce qui se passe au-dehors. Il est amusant de penser qu'une soirée banale pour toi sera la plus belle de la vie de ton voisin. Ou la pire.

Bébé

C'est une période importante. J'ai toujours trouvé dingue qu'un moment aussi accidentel que ta naissance, où tu des responsable de rien, puisse à ce point influencer ta vie. Même en habitant Paris, je reste une personne originaire de Sheffield. C'est comme si j'avais une espèce de mécanisme interne prêt à se déclencher à toute heure, qu'il soit approprié ou non aux différentes situations. (Sourire.) Mais je suis heureux de venir d'un endroit avec une si forte identité.

Cunts

Évidemment... Existe-t-il une traduction littérale en français ? Ah, con le pensais que ça voulait juste dire idiot. Il s'agit d'un nom masculin, non ? intéressant, pour un terme qui désigne une partie éminemment féminine, on retrouve bien là toute la perversité de votre langue. (Sourire.) En anglais, c'est l'un des derniers mots qui choquent encore les gens. Je l'ai choisi sciemment, il ne s'agit pas d'un accident. (Sourire.) Car je souhaitais être aussi insultant que possible. Cunts Are Still Running The World a été utilisé pour le générique de fin du nouveau Alfonso Cuarón, Children Of Men, un film d'anticipation. Aux États-Unis, la commission de censure voulait le classer X à cause des nombreuses répétitions de "cunts" dans la chanson, alors qu'on l'entend au moment où la plupart des spectateurs ont déjà déserté la salle. Le réalisateur a demandé combien de fois il était permis d'entendre cette injure pour échapper à telle classification. Et ils lui ont répondu trois ou quatre. Vous ne trouvez pas amusant de constater que "cunts" prend toute sa dimension offensante à partir du moment où il est prononcé cinq fois? (Sourire.) En Angleterre, seul Richard Bacon a diffusé le morceau dans son émission sur la BBC. À chaque fois que le mot arrivait, il ouvrait son micro et prononçait son nom. J'ai trouvé son subterfuge drôle et ingénieux. Je mis que ce titre ne passera pas sur les ondes, mais je n'ai aucune envie d'en faire une version édulcorée. J'aime l'idée ridicule qu'un quadra se répande en jurons au sujet de la politique. Il y a aussi une part d'humour, même si je crois fermement à ce que je chante. En tout cas, il figure bien sur l'album mais en morceau caché. Mince, je n'aurais pas dû le dire...

Décembre 1995

Ce doit être une date marquante me concernant Comme Different Class est sorti peu de temps avant, Pulp était certainement en pleine tournée. Oh, ce ne serait pas l'époque du concert parisien où j'ai attaqué le violoniste ? J'étais complètement angoissé ce soir-là, je crois. (Sourire.) le me rappelle avoir balancé quelques amplis sur scène avant d'essayer d'étrangler Russell. le m'excuse, même s'il est un peu tard. Cela arrive à tout le monde de se comporter comme un connard. le suis allé voir Franz Ferdinand au Zénith l'an dernier. Ce sont des gens raisonnables d'ordinaire, on ne peut pas dire le contraire. Or, ce soir-là, ils avaient organisé une petite fête backstage pour la remise d'un disque d'or. Dès qu'ils ont regagné leurs loges, on a entendu des cris, des insultes Ils semblaient se balancer leurs trophées à la figure! Tout le monde a bien sûr été prié de quitter les lieux rapidement. Alors, je me dis que Paris a peutêtre une influence néfaste. Je n'essaye pas de me justifier non plus, mais il faut en tenir en compte. (Sourire.) Au fait, pas plus tard qu'hier soir, j'étais au téléphone avec Russell. Il vit toujours à Sheffield. Il bosse pour The Observer, un hebdomadaire dominical, où il s'occupe du supplément mensuel sur la musique. Pour le mois prochain, il m'a chargé d'écrire un article sur la vie nocturne dans notre chère ville qui semble être devenue le centre musical de l'univers... Un comble!

Exil

Oh, vous savez, je ne suis pas vraiment en exil. Mon appartement se trouve exactement à cinq minutes à pied de la gare du Nord. Psychologiquement, c'est très important. (Sourire.) Comme je n'ai jamais trop aimé le changement, je savais que m'établir dans une nouvelle ville allait me stresser... J'ai même un satellite pirate qui me permet d'avoir les chaînes de télé britanniques. Ça a d'ailleurs fait l'objet d'une grosse crise entre ma femme et moi: je pensais qu'on recevrait aussi les chaînes françaises, mais en fait on a l'impression qu'il neige tout le temps... L'exil, donc. L'habite ici depuis presque quatre ans. Vous avez pu le constater, l'apprentissage de la langue n'est pas mon fort. Enfin, je me suis amélioré. le comprends même les paroles deschansons de Jacques Dutronc. (Il chante.) Paris n'a pas eu d'influence si directe sur les compositions de l'album. Enfin... Comme je vous le disais, c'est plutôt le bouleversement de ma vie sociale qui m'a a donné envie d'écrire des chansons. Connaître une certaine dose d'ennui dans son existence peut-être positif car ça provoque souvent un élan artistique.

Fans

Dans deux mois, je saurai si j'en ai encore. Bon, sur ma page MySpace, j'ai quand même une sacrée quantité de connexions. J'ai créé ce site le 3 juillet pour deux raisons: d'abord, comme chacun le sait, parce que je suis toujours à la pointe de la modernité. Ensuite, pour pouvoir diffuser Cunts... En moins de trois mois, j'ai dépassé les deux cent mille visites, ce n'était donc pas une mauvaise idée. Sans être dupe, j'aime bien ce principe car le processus est naturel, il tient du bouche à oreille. je déteste tout le côté marketing du business, je hais l'idée de forcer le public à acheter un disque. Mais tous ces gens qui se connectent sur ma page ne sont pas des fans. Ce sont mes amis. (Sourire.)

Goblet of Fire

Pour diverses raisons, je trouvais intéressant de m'impliquer dans ce Harry Potter. Ce projet est arrivé au bon moment car je n'avais rien fait depuis longtemps. Et puis, en tant que père, j'avais une vision nouvelle des films pour enfants et je me suis même dit que ça m'offrait une bonne opportunité de devenir populaire auprès des gamins. (Sourire.) J'ai été surpris de décrocher le job car nous étions plusieurs sur les rangs. je fais une brève apparition dans le film dans le rôle d'un chanteur. D'ailleurs, les trois jours de tournage ont plutôt été agréables: mon groupe étant le plus populaire de l'univers, nous nous produisions devant un public en délire. Mon ego a apprécié. (Sourire.) Au final, la scène ne dure que quinze secondes. Bien sûr, ce n'est sans doute pas le sommet de ma carrière artistique, mais les trois chansons que j'ai composées pour l'occasion ne sont pas si mal.

Hawley, Richard

Vous savez déjà tout de lui depuis notre dernière interview ensemble! Richard est sur mon disque, mais je n'avais pas trop le choix : si je ne l'avais pas invité, il ne m'aurait plus jamais adressé la parole. (Sourire.) Il m'a toujours dit que si un jour l'envie me prenait d'enregistrer en solo, il tenait à participer. Cela dit, on savait que ça ne ferait de bien ni à l'un, ni à l'autre qu'il joue comme à son habitude. On ne voulait surtout pas que le résultat ne sonne comme un album de Richard avec moi au chant. Et mis à part sur un ou deux titres, on ne reconnaît pas trop sa patte. Il existe des musiciens capables techniquement de jouer n'importe quel style sans aucune émotion. Richard, lui, en transmet toujours. Au départ, j'avais l'intention de bosser avec plusieurs personnes, mais dès qu'on a commencé, il a été impossible de s'arrêter. L'enregistrement a été très rapide, en fait: tout était bouclé en treize jours.

Internet

(Il nous coupe.) I comme Igloo! le den ai jamais visité, et vous ? Il existe encore des gens qui vivent dedans ou est-ce un mythe ? Enfin, je ne me vois pas habiter là-dedans. Mais je pourrais quand même y écrire des chansons, car cela me prend n'importe où! (Il réfléchit à voix haute.) Igloo, Arctique... Arctic Monkeys, bien sûr. le les ai rencontrés en février dernier aux NME Awards. Notre conversation fut typique des gens de Sheffield, c'est-à-dire assez sommaire. Ça a commencé par l'incontournable: "Tu viens d'où exactement?" Il faut savoir qu'il existe un vrai snobisme entre chaque secteur de la ville. Eux sont originaires de High Green et moi, de Intake, deux endroits très différents. La discussion s'est donc arrêtée net. (Rires.) Je les aime bien. Mais pour la première fois, j'ai ressenti un véritable fossé générationnel. je suppose que c'est ainsi que fonctionne la musique: les jeunes prennent le relais plutôt que de laisser les vieux comme moi continuer. je n'ai pas l'impression qu'ils soient très populaires en France. Ils sont peut-être trop anglais... Cela a toujours été mon problème, aussi. (Sourire.)

Johnny Borrell

Je ne l'ai jamais rencontré, et je ne nourris aucune haine particulière à son égard, mais je déteste tous ces nouveaux groupes anglais qui parlent comme des businessmen. "Maintenant, on va se lancer à la conquête du marché américain..." Bien sûr qu'il est important d'avoir du succès, mais la force motrice d'un groupe doit être avant tout créatrice. le n'ai jamais pu supporter cette attitude carriériste. C'est aussi pour cela que je trouve les Arctic Monkeys rafraîchissants, comparés à tous ceux qui font surtout attention à maîtriser les bonnes références. Moi, quand j'écoute une chanson, je veux essayer de découvrir les personnalités qui se cachent derrière, je me moque de savoir quels disques ils ont écoutés. je veux savoir qui ils sont, ce qu'ils pensent. Tout ça me rappelle l'époque punk, un mouvement censé cultiver la différence. Sauf que tu allais à un concert, et tous les mecs avec les cheveux dressés sur la tête et le blouson en cuir te dévisageaient parce que tu étais habillé différemment, en pensant tout haut: "Lui, ce n'est pas un vrai" (Sourire.) je suppose que ce phénomène de mimétisme est ancré dans la nature humaine.

Kid Loco

Un chic type. J'avais beaucoup aimé son premier album et avec Pulp, on l'avait invité à jouer à Finsbury Park en 1998. le l'ai rencontré à cette occasion, mais nous nous sommes ensuite perdus de vue. Et puis, quelques semaines après être arrivé à Paris, l'un des premiers trucs que j'ai fait, c'est adapter Je Suis Venu Te Dire Que Je M'en Vais avec lui en anglais. Elle a mis trois ans à voir le jour sur cet hommage paru en début d'année. le crois que l'une des motivations derrière ce projet était de montrer au public anglo-saxon le don de Gainsbourg en tant que parolier. Se pose alors le problème de la traduction. Celle qu'on m'avait donnée était très mauvaise si bien que ma femme et moi avions dû la retravailler. Mais je ne pense pas que l'on puisse rendre justice à ses textes convenablement. Tu es sûr, au final, de perdre une partie des subtilités et donc de la dimension poétique des jeux de mots. De toute façon, je ne crois pas non plus que mes paroles se prêtent à cet exercice. Lorsque tu écris, même sans le réaliser, tu utilises tant de tournures idiomatiques que le vide est difficile à combler.

Live

Sur scène, les musiciens de l'album vont m'accompagner, à commencer par Ross Orton, l'ex-batteur des Fat Truckers, et Steve Mackey à la basse, mon ancien acolyte de Pulp. Richard va sans doute pouvoir assurer les premiers shows mais après, il enregistre son nouvel album et sera moins disponible. il y a aussi un pianiste, Simon Stafford, qui était avec lui dans les Longpigs. Après un petit tour de chauffe à Brighton, nous allons donner notre concert inaugural à La Cigale, à Paris, pour la soirée d'un magazine rival. Tiens, c'est vrai, la première fois que Pulp a joué à Paris, c'était dans la même salle et pour le même festival. En 1991 je pense. Voilà, la boucle est bouclée. (Sourire.) le peux l'avouer, je suis un peu nerveux. le ne jouerai que mes nouveaux morceaux... Même si j'ai écrit la plupart des titres de Pulp et que je les chantais tous, ce nouveau projet me semble bien plus personnel. Cette fois, je n'aurais personne à blâmer en cas d'échec... Alors, j'aimerais juste dire à tous ceux qui vont venir d'être gentils avec moi. Même si vous n'aimez pas. S'il vous plait...

Manon

Cette chanson doit être ce que j'ai fait de pire dans ma vie. Comme j'adorais le morceau de Gainsbourg, je lui ai piqué le titre pour une de mes compos. À cause du "Man", j'étais persuadé qu'il s'agissait d'un prénom masculin. Pour ne rien arranger, j'ai tenu à y glisser des paroles en français. J'ai donc demandé à une amie de me traduire quelques phrases. En voyant mon texte, elle a compris ma méprise et m'a ouvert les yeux sur le sexe du personnage... (Rires.) En 1985, Pulp n'avait pratiquement jamais joué hors de Sheffield, et je me suis dit que personne ne se rendrait compte de mon inculture. Pour la deuxième fois de cette interview, je tiens à présenter mes excuses. J'étais un jeune Anglais ignorant. Maintenant, je suis un vieil Anglais ignorant. Mais pourquoi me parlez-vous de cette d'horreur ? Ah, pour évoquer ma collaboration avec Charlotte Gainsbourg. Non, jamais je ne lui ferais écouter ça! Ma participation à son disque est arrivée par hasard. Il faut savoir que je n'aime pas les studios d'enregistrement. Alors, un soir, un ami bien intentionné a voulu m'en montrer un dans lequel je pourrais peut-être me sentir à l'aise. Lorsque nous sommes entrés, nous les avons tous trouvés là, Charlotte, Nigel, Air Ils avaient pas mal avancé sur les musiques et peinaient avec les textes. Ils m'ont donc demandé d'essayer. Le premier que j'ai écrit n'a pas du tout plu, surtout qu'il faisait explicitement référence à son père. J'avais trouvé l'idée intelligente car je la savais très connue en France, mais moins à l'étranger, et je m'étais dit que c'était une fine ruse pour que le public fasse le lien L'atmosphère était à couper au couteau. À ce moment-là, Charlotte devait sûrement déjà s'imaginer refiler le boulot à un autre. Heureusement, j'avais avec moi un second texte qu'elle a bien aimé. Ce n'est pas chose facile que d'écrire pour des confrères parce qu'il ne faut pas trop s'impliquer émotionnellement. Et qu'il faut une confiance totale entre l'interprète et l'auteur. Une fois ce stade atteint, c'était vraiment bien. Parfois, elle me donnait des idées, ou elle choisissait ses passages préférés. Souvent, elle trouvait les paroles trop jolies et elle les voulait plus cruelles. Ce qui me convenait parfaitement.

Nancy Sinatra

Notre collaboration peut être considérée comme le point de départ de mon album solo. Avec Richard, je lui avais composé deux chansons, mais j'ai été déçu par les enregistrements finaux. Il fallait donc que je les rechante. À cette époque, j'étais bien décidé à prendre ma retraite et à ne plus ceuvrer que pour d'autres artistes. Mais je me suis vite rendu à l'évidence: "Jarvis, tu ne sais rien faire d'autre, tu n'as aucune qualification, aucune aptitude à part celle-ci". Alors j'ai dû me résigner à reprendre du service. Non, ce n'est pas un hasard si vous trouvez des similitudes entre Don't Let Him Waste Your Time et Only You Know de Dion DiMucci (ndlr. sur l'album Born To Be With You, produit par Phil Spector et uniquement réalisé en Grande-Bretagne, en 1975). Il ne s'agit pas d'un sample, nous avons juste tout rejoué. D'ailleurs il sera crédité d'une manière ou d'une autre sur l'album. Merci de m'y faire penser. (Sourire.)

Old Man's Back Again

L'une des plus belles chansons de Scott Walker. le lui ai envoyé mon disque il y a deux jours, j'attends ses réactions. En 2004, il a reçu un Q Award pour l'ensemble de son oeuvre, et j'avais été désigné pour le lui remettre. je démis pas encore intimement persuadé qu'un album était pour moi la meilleure option. Nous en avions pas mal discuté ensemble, et il m'avait vivement encouragé à m'y remettre. Cette attention de sa part m'avait profondément touché. Aujourd'hui, je pourrais pourtant lui dire: "Scott, si tu n'aimes pas mon album, tu n'as qu'à t'en prendre à toi-même". (Sourire.) Une fois ma décision prise, il m'a fallu composer les bons morceaux. Des chansons significatives qui me fassent ressentir quelque chose. Quand ils vieillissent, beaucoup d'artistes ont tendance à ramollir. Scott en est d'ailleurs le parfait contre-exemple, lui qui devient de plus en plus extrême. Moi, j'aurais pu sombrer dans la guimauve, mais j'ai su résister. Dans mes chansons, il existe de toute façon toujours une forte part d'obscurité. Je crois sincèrement que si tu arrives à te débarrasser de tes pulsions perverses dans ta musique, cela t'évite de devenir un tueur en série ou un truc de ce genre. (Sourire.) Les gens qui refoulent ces choses-là finissent par devenir dangereux. Dans la vie normale, comme vous pouvez en témoigner je l'espère, je suis plutôt poli, j'essaye de ne pas être méchant avec les gens. Et j'y parviens car mes compositions me permettent d'évacuer ces forces du mal.

Poème

Vous faites référence à ce texte que l'on m'a commandé pour décorer la façade d'une nouvelle résidence universitaire de Sheffield? Bien sûr, mon ego m'a immédiatement fait accepter. Mais d'un point de vue idéologique, je n'étais pas à l'aise car, lorsque j'habitais là-bas, je détestais ces foutus étudiants. J'ai fini par écrire quelques lignes. le ne suis pas sûr que ce soit un poème, même si ça rime de temps à autre: "Within these walls / The future may be being forged / Or maybe Jez is getting trashed on cider..." Ah, oui, que j'explique, un peu: ce bâtiment a été construit à la place d'un club très populaire de la ville où les étudiants, qui s'appelaient tous Jez ou Sam, passaient leurs nuits à se bourrer la gueule au cidre. Mais reprenons: "But when you melt, you become the shape of your surroundings / Your horizons become wider / Don't they teach you no brains at that school?" Voilà, ça se terminait ainsi. Leverbe "melt" est une référence au fait qu'à cet endroit, avant la boîte de nuit, se trouvait une acierie, mais aussi au fait que les étudiants se mélangeaient rarement avec la population locale, qu'ils dédaignaient. Quant à la dernière phrase, elle est l'oeuvre d'un livreur de lait. Gamin, je squattais souvent leurs petits véhicules électriques pour me déplacer jusqu'à l'école. Vu la vitesse de ces engins, je ne gagnais même pas de temps, bien sûr, c'était juste ma foutue paresse! Un beau matin, un rien exaspéré, le brave homme m'avait sorti cette phrase dont je me suis toujours souvenu. Sincèrement, je pensais que mon texte allait être rejeté, à cause de son ton un tantinet moqueur. Mais non...

Quarante-trois

(En français.) Oui, c'est moi aujourd'hui. (Sourire.) J'ai fêté mon anniversaire il y a neuf jours (ndlr. le 17 septembre). Merci pour la carte, d'ailleurs. J'entre dans une phase de lutte pour la conservation. J'ai un peu l'impression d'être le Titanic: je fais tout pour ne pas sombrer. je ne m'en sors pas trop mal, vous trouvez ? Le gros problème, c'est la boisson. J'aime bien boire, mais je suis conscient de devoir faire attention. le ne veux pas complètement arrêter non plus. Toujours garder le contrôle de soi est un peu ennuyeux, il faut au contraire préserver ces moments d'abandon. Quand je me remémore ma vie, je ne veux pas qu'elle ressemble à une route plate, sans collines ni tunnels. Cette remarque doit vous paraître assez stupide, non?

Rough Trade

C'est amusant parce que Rough Trade me manage depuis une quinzaine d'années, alors je n'ai pas l'impression de sortir cet album sur une nouvelle structure. Lorsque Pulp était signé chez Island, la situation était assez pratique car nous étions chez les méchants: si les choses se passaient mal, le label était toujours désigné comme responsable. Aujourd'hui que je suis passé du côté des gentils, je ne peux plus me réfugier derrière des excuses faciles. Mais l'esprit qui règne chez Rough Trade est bien plus adapté à un type comme moi. je suis plus à l'aise avec ce genre d'interlocuteurs qu'avec des types en veste de cuir qui vont déjeuner dans des restos très chic et prennent un air sérieux pour évoquer le budget de ta prochaine vidéo.

Saint Martin's School

J'y suis retourné récemment pour un reportage produit par Radio 4 sur les liens entre les écoles d'art et la pop. Malheureusement, je n'ai pas pu me rendre dans les locaux précis où j'étudiais, sur Charing Cross Road, car ils les ont vendus pour qu'ils soient transformés en appartements de luxe ou en bureaux. À la toute fin de mon cursus là-bas, ils ont supprimé les bourses et mis en place, en 1991 des emprunts forcés que les élèves devaient rembourser dès leurs études terminées. Personnellement, je suis farouchement opposé à ce système, en particulier dans les écoles d'art, où l'idée est plutôt de se confronter à l'air du temps que d'embrasser une carrière pragmatique. J'ai voulu savoir comment cette politique avait affecté l'attitude des étudiants, qui plus est dans une société où tout le monde semble obnubilé par les cibles de marchés. Par exemple, nous disposions d'un bar très agréable, or, la nouvelle cafétéria ressemble à un vulgaire couloir. Je ne dis pas qu'une cafét'est l'endroit le plus important du monde, mais elle permet les rencontres et les échanges car tu y croises les étudiants des autres cycles: le cinéma, la peinture, la photographie. Là réside aussi la philosophie d'une école d'art. La vente des locaux à Charing Cross s'inscrit d'ailleurs dans la même logique. Si j'ai voulu aller là-bas, c'est justement parce que j'allais être projeté au coeur de la ville et de l'action, pas pour me retrouver perdu dans le nord de Londres. Il existait dans cette école des interactions intéressantes qui profitaient à chacun, avant qu'elle ne plie sous le poids de cette tendance universelle à tout uniformiser.

The Trip

Cette compilation réalisée avec Steve a pris un an de travail. On nous avait déjà contactés pour ce genre de projet, et nous avions toujours refusé car la négociation des droits des chansons est un pensum. Mais les gens qui s'occupent de la collection The Trip avaient la réputation d'être particulièrement efficaces dans ce domaine. On a rapidement compris pourquoi. En fait, ils essayent de te faire prendre majoritairement des titres en licence chez leurs potes d'Universal. Or, dans notre sélection, il doit y en avoir un seul dans ce cas. Ils nous en ont bien conseillé d'autres... En vain. (Sourire.) Nous avons préféré privilégier ceux qui nous accompagnent depuis longtemps, parfois depuis notre enfance. Je suis content du résultat final. On m'a depuis fait remarquer que certaines compositions de mon album ressemblaient à des chansons de notre sélection. Quoi de plus normal, après tout: j'ai tendance à m'approprier ce que j'adore. (Sourire.)

Underwear

Eh bien, que dire... j'en porte ! (Rires.) Effectivement, c'est un titre de Pulp. Lorsque Universal a décidé de rééditer trois de nos albums avec des Cd's bonus (ndlr. His 'n' Hers, Different Class et This Is Hardcore, sortis cet été en Angleterre), j'ai préféré participer au projet afin d'éviter d'y voir figurer les remixes les plus douteux de Common People. (Sourire.) J'ai donc réécouté tout un tas de vieilles cassettes avec les chansons qui n'avaient pas passé le cap des démos. J'ignore si c'est dû à mon grand âge et à ma perte de sens critique, mais j'ai trouvé que cela ne sonnait pas trop mal en général. J'ai envoyé les titres que j'avais sélectionnés aux autres, pour voir s'ils avaient des objections ou s'ils pensaient à un truc qui m'aurait échappé. Ces maquettes montrent le groupe dans son état brut, et je trouve qu'elles ont un certain intérêt. Pour les fans, en tout cas. J'ai trouvé étrange, cependant, que les meilleures maquettes soient celles de This Is Hardcore, l'album avec lequel la majeure partie du public a pensé que nous avions perdu pied. (Sourire.)

Vote

Je n'ai pas pu voter aux dernières élections en Angleterre. J'ai essayé, pourtant, mais je if ai pas pu m'inscrire à temps sur les listes. Chez nous, il faut désormais figurer sur un registre électronique. Quatre mois avant l'échéance, j'ai voulu le faire, et l'on m'a rétorqué qu'il était trop tard J'ai été disqualifié. (Sourire.) Cela me met dans le même sac que les patients des hôpitaux psychiatriques ou les repris de justice... En même temps, je dois avouer que j'ai été débarrassé d'un sacré poids car j'ai été très déçu par le Labour Party, en particulier par ses décisions liées à l'Irak. Alors, même si j'ai toujours voté pour eux dans le passé, j'aurais eu du mal à recommencer. Et comme je m'imagine mal donner ma voix aux Conservateurs... Ce contretemps m'a finalement permis de ne pas me trahir moi-même.

Wurlitzer

Pour les pianos ? Comme on peut s'en rendre compte facilement en écoutant le disque, je ne suis pas un virtuose. (Sourire.) Mais j'ai tenu à en jouer, et mes proches m'y ont encouragé. A un moment, je me suis pourtant dit qu'il valait mieux faire appel à quelqu'un. Puis je me suis raisonné: "Jarvis, il s'agit d'un album solo, tu le souhaites aussi personnel que possible, alors, à partir du moment où tu es à peu près dans le tempo et que les notes sont justes, tout ira bien, et ça aura plus de caractère que si un type s'assoit à ta place et en rajoute des tonnes". J'aime la musique directe, débarrassée de superflu. Finalement, le résultat ne m'esquinte pas trop les oreilles, même si je suis sûr qu'un musicien confirmé serait horrifié. Et encore, vous auriez dû entendre les maquettes enregistrées sur le piano que j'ai accordé moi-même... (Sourire.)

X, Classé

Les paroles de Disney Time parlent d'apprendre à détourner le regard. Ce qui paraît impossible, puisque c'est finalement tout ce qui t'intéresse. je pense qu'il faut savoir se discipliner. (Sourire.) Avec mon petit garçon, je me retrouve à découvrir les films de Walt Disney car on ne les diffusait jamais à la télé anglaise dans mon enfance. Pendant les fêtes, nous n'avions droit qu'à cette émission, Disney Time, qui ne dévoilait que de minuscules extraits pendant une demi-heure. Un peu comme si ces productions étaient trop bien pour être montrées aux masses et que tu n'avais pas le droit de tout voir, en quelque sorte. J'ai perçu là-dedans un parallèle intéressant avec les films X. je sais, discerner le diable dans les oeuvres de Disney, ça fait un peu cliché, mais je trouve leur représentation de la vie de famille, où tout le monde sourit tout le temps, assez proche de la pornographie.

Yorkshire

Vous y êtes déjà allé? Sheffield se trouve dans le South Yorkshire, le plus grand comté d'Angleterre et une contrée particulièrement moche. En revanche, la campagne, au Nord, est très belle. Il existe dans ma région une mentalité particulière, évoquée à la lettre B, je crois. Le meilleur adjectif pour qualifier ses habitants serait "taciturne". Ils ne parlent pas beaucoup, en général. Et quand ils parlent, c'est sur un ton neutre. Ils n'accordent pas leur confiance facilement, ne sont pas particulièrement accueillants et restent très secrets, même entre amis. Je comprends très bien que cette attitude puisse irriter ceux qui den sont pas coutumiers. Parfois, ça rend ma femme folle... (Sourire.) Quand je retourne là-bas, je suis heureux de m'apercevoir que je ne souffre pas d'un grave problème psychologique, mais que je suis juste le plus pur produit de ma région d'origine. (Sourire.)

Zoom

Oui, je garde toujours mon idée de long-métrage en tête. L'histoire de Slow Down Arthur, Stick To Thirty se déroule entre la fin des 70's et le début des 80's La difficulté pour les films d'époque est d'éviter tout anachronisme. En tant que spectateur, je déteste en relever au cinéma. Si tu fais un plan sur une table où est posé un paquet de cigarettes, il faut être sûr que cette marque existait bien alors. C'est encore plus le cauchemar pour les scènes de rue: il faut que tu retrouves les voitures ordinaires de l'époque, or, qui peut bien les collectionner? Le budget est donc beaucoup plus conséquent pour ce genre de projets et c'est pour cela que je suis dans l'impasse. Mais ces détails sont vraiment primordiaux, car si tu commets la moindre erreur, toute la dramatique se casse la figure.





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